Yapaka: « Il faut laisser à l’adolescent la capacité d’agir. »
Rencontre avec Diane Huppert de Yapaka
- Quelles sont vos missions chez Yapaka ?
Yapaka un service public de prévention de la maltraitance, nous avons pour mission de penser et d’organiser la prévention de la maltraitance en Communauté Française. Nous pensons la maltraitance comme étant avant le passage à l’acte donc avant la difficulté réelle. Dans le cadre de ce programme, nous avons un volet qui s’adresse aux professionnels et un volet qui s’adresse au grand public, c’est-à-dire les parents et les enfants/adolescents. Notre mission est de penser les questions relatives à la prévention et d’élaborer des outils. Nous soutenons les professionnels qui travaillent avec les enfants, les ados et les parents. Nos outils sont pensés d’une manière à interpeller chacun dans sa capacité à comprendre et à appréhender les questions en ne donnant jamais de réponses toutes faites. L’idée est d’offrir des supports à penser.
- Vous intéressez-vous à la problématique de la fugue ?
La première fois où nous nous sommes intéressé à la thématique de la fugue c’était au moment où Child Focus a fait une campagne d’affichage des fugueurs. Il y avait une complète confusion entre les enlèvements d’enfants et les adolescents qui fuguaient. Nous avons eu envie de penser ce mélange de genres qui étaient périlleux autant pour les adultes que pour les adolescents. Nous avons alors ouvert un dialogue avec Child Focus.
Par rapport à la fugue, nous voulons ouvrir l’adulte, qu’il soit parent ou professionnel, au réflexe d’interroger le sens. Que vient dire la fugue ? Qu’est-ce que vient signer la fugue ? Et de le comprendre dans la singularité de cet enfant-là, des ressources qu’il a.
- Dans les livres réalisés par Yapaka que vous m’avez envoyés, j’ai particulièrement bien aimé celui écrit par Jean-Luc Fonck. Il montre bien que les problèmes à l’adolescence sont souvent dus à un problème d’incompréhension et de communication. Les parents ne comprennent pas leur enfant, les ados ne comprennent pas leurs parents. Comment peut-on travailler avec les familles pour rétablir un dialogue ?
L’idée est de dire ça, simplement. Et de montrer à quel point le dialogue est compliqué. L’adolescent est dans sa réalité, dans son opposition à ses parents et à l’adulte.
Il faut pouvoir identifier cette rupture de communication. Le jeune, par ses signaux de détresse, vient dire quelque chose aux parents ou à l’éducateur.
Il convient de saisir ce message qui est de l’ordre du paradoxe. Parce que le jeune va ruer dans les brancards, va être agressif. Cette agressivité vient dire quelque chose, elle vient dit que c’est important de garder le contact.
Nos livres ont pour objectif de décliner toutes ces difficultés d’approche et de rester en lien. Nous traitons tous les thèmes qu’un adolescent peut rencontrer : son intimité, l’importance des copains, la première relation, le décalage de génération, etc. Des petits outils comme celui-ci peuvent venir éclairer car ils permettent de comprendre qu’on n’est pas seul à vivre cette réalité, tant du côté de l’adolescent que du côté du parent. Nous avons des supports pour les ados ou leurs parents.
- Il est important que les parents aient des outils pour comprendre ce qu’est être adolescent aujourd’hui. En tant que parent il n’est pas toujours évident de se mettre à la place de son enfant, les repères ont changé.
Oui, les parents se sentent sans doute davantage perdus mais les questions de fond restent les mêmes. Même si la technologie vient ajouter un élément de plus. Néanmoins la légitimité de la présence de l’adulte est toujours nécessaire. Ce n’est pas parce qu’un adolescent est muni d’une technologie que l’adulte ne maitrise pas qu’il doit se désinvestir, voire se désinvestir de ce qui se passe sur les réseaux sociaux en se disant que ce qui s’y passe est une histoire entre ados et qu’il faut les laisser entre eux. Non, à partir du moment où l’adulte constate des choses sur internet et sur les réseaux sociaux, il a la légitimité et la nécessité d’intervenir comme adulte.
Il est vrai que le monde est différent et quand on est parent d’adolescent on a oublié sa propre adolescence. Il est intéressant de rappeler aux parents que même si le contexte ambiant change, l’adolescent reste le même. Il se construit dans une continuité de l’enfance avec toutes ses fragilités, il est bouleversé par une métamorphose corporelle. Le parent doit rester à l’écoute et lui transmettre comment il s’en est sorti soi-même au cours de son adolescence mais aussi dans sa vie d’adulte.
- Quel conseil donneriez-vous aux parents qui n’arrivent pas à gérer la crise avec leur adolescent ?
C’est de résister contre vents et marées. Ce que nous tentons de communiquer à travers nos différents thèmes liés à l’adolescence destinés aux parents est de résister, de rester présents. Il faut une présence et une fermeté mais aussi une certaine souplesse et de pouvoir jouer de l’humour. Il faut montrer à l’adolescent qu’on est là et qu’on reste en lien.
Je pense que l’adolescent qui se sent isolé et non-investi ou même trop livré à lui-même va tester et sans doute recourir à des passages à l’acte comme la fugue pour pouvoir se faire entendre et tester l’autorité ou le manque d’autorité.
- Sur une des vidéos sur votre site, un intervenant parle du réflexe qu’ont les parents quand leur enfant a fugué, et qui est de lui dire « Reviens, tu verras tout sera comme avant » alors que justement l’adolescent a fugué parce qu’il ne veut pas que ce soit comme avant.
C’est justement ce que l’adolescent a voulu énoncer : il grandit, il faut entendre le signal.
Il est important de ne pas banaliser la fugue ni de la dramatiser parce qu’il faut aussi laisser à l’adolescent la capacité d’agir.
Je pense que pour l’adolescent qui vient dire les choses et les mettre en scène par une fugue, ça se joue encore sainement pour lui. C’est peut-être porteur qu’il puisse exprimer des signes de mal-être, de bouleversement, de ne pas savoir comment mettre les choses en mots et donc de les agir. C’est un ado qui va « bien » dans la mesure où l’adulte pourra l’entendre. Il faut encore autoriser les adolescents à être des adolescents aujourd’hui. On est dans une société où même dans le social on a tendance à responsabiliser les adolescents là où on devrait encore leur laisser la possibilité de faire des brouillons, de tester les limites. On est dans une culture qui, d’une part donne aux jeunes une autonomie très grande, et d’autre part on va légiférer pour leur faire porter la responsabilité d’un encadrement qui relève encore de l’adulte.
- Merci beaucoup.
Corentine
Bruxelles-J asbl