Ne pas agir n’est plus une option! Rencontre avec la doctorante de l’ULB Lisa Ardoin

Alors que certains pourraient se sentir découragés par l’ampleur des défis, Lisa Ardoin, doctorante en glaciologie à l’ULB, nous rappelle dans cette 3ème partie de l’interview l’importance de chaque geste dans cette lutte collective. Elle met en lumière le décalage entre les actions individuelles et l’impact des secteurs industriels, tout en soulignant l’urgence d’un changement sociétal et politique. De plus, elle aborde les défis rencontrés par la communauté scientifique dans la communication de ses conclusions, tout en soulignant l’importance de la vérification des sources et de la collaboration dans la recherche scientifique. À travers ses paroles, Lisa inspire à l’action et à la prise de conscience collective, affirmant que ne pas agir n’est plus une option.

Bruxelles-J : Selon toi, en considérant l’impact relativement faible de ces petits gestes individuels face à l’impact des émissions de CO2 colossales de certains secteurs comme les transports aériens ou maritimes, comment faire pour ne pas céder au découragement et pour se dire qu’on est quand même utile dans ce qu’on fait?

Lisa : Mais bien sûr, qu’on est utile ! Pour nous, tout le monde est utile dans cette lutte! Je pense que c’est deux poids deux mesures. Il faut aussi comparer ce qui est comparable. Je veux dire on ne peut pas comparer le bilan carbone d’une industrie à son bilan carbone à soi individuel. Et ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas faire d’efforts.

Une autre chose qui est importante à prendre en compte quand on fait des efforts dans ce sens-là, c’est le fait qu’il n’y a pas de récompense immédiate. C’est à dire que le carbone une fois qu’il est libéré dans l’atmosphère il peut mettre jusqu’à 100 ans avant d’être repiégé, restocké sous forme de roches de façon plus pérenne et à disparaître de l’atmosphère. Ça, ce sont des processus naturels. Donc dans le carbone qui s’est accumulé ces dernières années, certains ont été émis il y a 100 ans. Ce que je veux dire, c’est qu’en réduisant nos émissions carbone maintenant, on ne va pas avoir une récompense immédiate de nos efforts. Mais il faut penser à après parce que si on continue comme ça, je ne veux pas être catastrophiste, mais il va y avoir énormément de conséquences et je pense qu’il y en a déjà. De plus, Il y aura des conséquences qui sont encore inconnues à l’heure actuelle.

Donc ce n’est pas quelque chose qu’il faut faire de façon individuelle. Il ne faut pas se dire « Ah mais non, moi je n’ai pas envie de faire l’effort de ne pas manger de viande car de toute façon ça ne va rien changer », ce n’est pas vrai ! Ça va avoir un impact ! D’autant plus si on est de plus en plus nombreux à changer nos habitudes de consommation. Ça va forcément s’adapter au niveau des industries.

Le bouleversement sociétal qui est nécessaire pour contrer complètement le changement climatique à l’échelle individuelle, je pense qu’il est extrêmement difficile de s’identifier et de pouvoir y contribuer autrement que par le vote et par les manifestations. Pour les plus jeunes d’entre vous, vous pouvez très bien choisir de vous former dans des voies politiques ou des voies décisionnaires et permettre de réduire peut-être un peu le bilan carbone d’une entreprise ou de prendre des décisions politiques qui vont dans ce sens-là. Mais si on a une impulsion de la masse déjà pour tendre vers ces solutions-là et qu’en plus ces solutions-là sont de plus en plus accessibles. Il faut continuer, ce n’est pas perdu !

En tant que scientifique ayant une compréhension approfondie du sujet, comment la communauté scientifique vit le fait d’être si peu écoutée ? Par exemple avec l’organisation de la COP 28 à Dubaï, perçue comme influencée par des lobbys ou avec des politiques marquées par des promesses non tenues de la part des décideurs.

Ce n’est pas toujours évident. Honnêtement, quand j’ai commencé à me renseigner et à lire les publications scientifiques sur le cycle du carbone, je suis rentré chez moi et je n’étais pas au top. Et même quand on a des conférences entre nous, on discute de ça. En fait, l’évidence scientifique que le CO2 a un impact sur le climat général, on est au courant depuis plusieurs siècles.

C’est l’information, le temps que ça soit un fait établi dans la communauté scientifique, puis que ce soit transmis au grand public, puis que les politiques s’emparent du problème et commencent à agir sur ce souci. En effet, ce sont des échelles de temps qui sont souvent plus grandes que nos échelles de vie à nous, puisque ça demande un changement d’habitude, un changement sociétal. C’est très personnel ce que je vais dire mais j’en suis persuadée, on ne peut pas continuer à consommer autant qu’on consomme maintenant et parler d’écologie. Ça mène à des paradoxes qui sont complètement dingues. Et ce même au sein de la communauté scientifique, on y fait face. On est quand même une communauté internationale, on travaille sur plusieurs pays différents. Des fois, il y a quand même cette envie de se retrouver en physique. Mais si on veut se retrouver en physique, on est obligés de voyager, donc on est aussi obligés de consommer du carbone.

Des fois, on est aussi face à nos propres paradoxes et je pense que ce n’est pas pour autant qu’il faut se cacher derrière en disant « Ah c’est bon c’est une fois de temps en temps ». Non, tant qu’on peut réduire son empreinte carbone, on la réduit. Maintenant, on a les réunions à distance qui permettent de limiter les déplacements. Donc les solutions sont là. Maintenant, il faut qu’on arrive à changer nos habitudes. Et bien oui, ce sont des changements, ce n’est pas toujours évident mais on peut y arriver, c’est faisable !

Comment est-il possible que certains, se présentant comme scientifiques, adoptent une position moins catégorique sur le changement climatique que celle du GIEC, malgré la synthèse exhaustive des études qu’il propose?

J’ai envie de dire, comme avec toutes les personnes qui sont aussi conspirationnistes. Même quand les faits accomplis sont devant vous, si les personnes ne les reconnaissent pas, au bout d’un moment, c’est difficile. Si les gens ne veulent pas écouter et sont tête de mule, là nous on ne peut plus rien faire. Les preuves scientifiques sont là, on a un paradigme, toute la communauté scientifique est d’accord pour dire que cette concentration de CO2 est anormale et qu’elle est d’origine anthropique.

Malheureusement, des fois, les gens qui ne veulent pas voir la vérité en face sont ceux qui ont de la voix, ce sont ceux qu’on entend. Donc là où il faut faire attention, c’est justement de bien vérifier ses sources, faire bien attention à qui on parle, à qui on s’adresse. Pour convaincre une personne, il y a aussi différents moyens, différentes ficelles qu’on peut activer. On peut montrer des faits, on peut montrer comment la personne est concernée par ce changement climatique. En fonction du public, on n’utilise les mêmes ficelles pour faire passer un message.

Je pense aussi que c’est important de vérifier ses sources à chaque fois que vous vous renseignez sur le sujet. Et en parlant de source, il faut aussi se rendre compte que, en tout cas, en tant que scientifique actuellement, je me rends compte à quel point c’est difficile de mettre tout le monde d’accord sur un sujet.

Il faut savoir qu’on est parfois dans des travaux qui sont encore des « work in progress ». Par exemple, en parlant de mes recherches à moi, on a cette hypothèse de vie, mais pour le moment c’est une hypothèse. On a plusieurs preuves : on a retrouvé de l’ADN, et la communauté scientifique va accepter ou non mon hypothèse. Mais il n’y a personne qui va venir me dire « Bravo, vous avez découvert la vie au fond de la glace ». C’est une expertise qui se construit sur plusieurs années. En fait, il faut toujours se méfier des titres courts et choc, surtout quand on parle de sciences parce qu’on parle de travaux de groupe. Tout le monde doit être d’accord, les preuves doivent être apportées, mais elles doivent être faites correctement. Je veux dire, avec des chiffres, on peut dire n’importe quoi, et c’est vrai dans tous les domaines, il faut vraiment faire attention à où vous renseignez par rapport à ce genre de problématique.

Pour en savoir plus

Découvre la 1ère partie de l’interview de Lisa dans « Que nous révèlent les gaz piégés dans les glaces millénaires ? »  et la 2de partie “Les conséquences du dérèglement climatiques et de nos actions pour réduire notre empreinte carbone” 
Retrouve l’intégralité de l’interview de Lisa dans notre playlist YouTube.

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