Rencontre avec Le Refuge : « Nous assistons à des réactions très violentes des parents. »

Dimitri Verdonck, cofondateur du Refuge, m’a reçue dans la maison de jour de l’asbl. C’est ici que peuvent venir les jeunes LGBTQI+ en situation de crise dans leur famille à cause de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Ils peuvent s’y reposer, rencontrer des personnes bienveillantes et d’autres jeunes qui vivent des circonstances similaires.

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  • Quelles sont vos missions ?

Le refuge c’est une structure d’accompagnement et d’hébergement de jeunes LGBTQI en situation d’exclusion qui ont entre 18 et 25 ans.

Nous avons des appartements anonymes dans lesquels il y a tout le confort pour accueillir pendant une période limitée des jeunes qui n’ont plus de toit, soit parce qu’ils ont été exclus, jetés du domicile familial ou qu’ils ont eux-mêmes décidé de partir parce que leur situation est trop compliquée ou la pression trop forte. On propose alors un appartement avec un contrat de 3 mois renouvelable 2 fois, donc des périodes qui n’excèdent pas 9 mois. Pour l’instant nous n’avons que 4 places disponibles, nous en aurons bientôt plus. Nous visons une douzaine de places avant la fin de l’année.

Notre deuxième volet est l’accompagnement. Nous accompagnons les jeunes dans toutes les démarches nécessaires pour redémarrer, que ce soit au niveau social, administratif, juridique, emploi, formation, reprise d’études ou recherche d’un logement, au niveau psy, santé, physique, socio-culturel. On prend vraiment en charge toutes ces dimensions dans l’accompagnement.

Nous accompagnons beaucoup de jeunes que nous ne pouvons pas loger par manque de place. Nous accompagnons aussi des jeunes qui n’ont pas besoin d’être logés mais qui, tout simplement, profitent des services que nous pouvons leur offrir. Cela peut être soit pour préparer un départ de chez eux, soit pour simplement se sentir mieux.

  • Est-ce que vous proposez également un travail de médiation avec les familles ?

Nous écoutons tous les jeunes qui font appel à nous et nous voyons ensuite si d’une manière ou d’une autre nous pouvons les aider. Au début du projet Le Refuge, nous pensions faire de la médiation familiale mais le besoin ne s’est pas encore présenté. Parmi les 15 à 20 jeunes déjà passés par Le Refuge, aucun n’a demandé une médiation familiale. Quelques-uns avaient déjà tenté des choses mais ça ne donnait rien et donc c’était une étape déjà un peu tardive.

  • Quand vous dites que « ça ne donnait rien » qu’entendez-vous par là ?

Nous assistons à beaucoup de réactions très violentes des parents. Je pense à un jeune qui est venu nous voir en situation de crise, ça n’allait plus du tout avec sa famille mais ce n’était pas la première fois que ça pétait. Il avait sollicité plusieurs fois la police et celle-ci avait entamé une médiation avec les parents, mais la situation ne s’améliorait pas. Donc le jeune n’avait pas envie d’entamer une nouvelle médiation. Nous avons donc plutôt axé notre travail sur les autres dimensions.

  • Ces crises familiales sont donc toujours en relation avec l’orientation sexuelle ou l’appartenance de genre des jeunes que vous rencontrez ?

Oui c’est toujours lié à la question LGBT d’une manière ou d’une autre.

  • En pratique, comment ces jeunes font appel à vous, comment vous connaissent-ils ?

Il y a plusieurs canaux. La Rainbowhouse, qui est la fédération des associations LGBTQI bruxelloises, est sollicitée régulièrement par des jeunes ou des associations qui sont en contact avec des jeunes. Il y aussi des jeunes qui font appel à nous via notre site, par mail ou par téléphone. Il y a aussi des jeunes qui arrivent ici via des jeunes déjà hébergés ou accompagnés. Et certains connaissaient Le Refuge en France.

  • Vous êtes donc le seul Refuge en Belgique et celui-ci a donc été créé sur base d’autres modèles européens ?

Nous nous en sommes un peu inspirés, oui. Une fédération européenne des Refuges est en voie de création, et nous sommes en contact avec les Suisses, les Italiens, les Français et les Espagnols. Un Refuge va bientôt ouvrir à Barcelone. On s’inspire et ensuite on adapte à la sauce bruxelloise parce qu’il y a des différences marquantes à plusieurs niveaux. En France, les jeunes n’ont accès à un revenu d’intégration qu’à partir de 25 ans. Quand ils sont à la rue ils sont vraiment sans ressources, tandis qu’en Belgique, la première chose à faire avec les jeunes, c’est de régulariser leur situation administrative en faisant une demande de revenu d’intégration au CPAS. Après 2 à 3 mois ils ont accès à un revenu d’intégration qui leur permet d’envisager un départ du Refuge plus rapide qu’en France où ils se retrouvent sans rien.

  • Notre partenaire Alter Visio nous a récemment fait part qu’il recevait beaucoup de questions venant de jeunes réfugiés qui ont dû quitter leur pays à cause de leur orientation sexuelle. Est-ce que ce public vous contacte également ?

Oui. Nous accueillons les jeunes résidant en Belgique, peu importe leur situation administrative. Ce sont majoritairement des Belges mais pas uniquement.

Nous recevons aussi des demandeurs d’asile ou des sans-papiers qui sont ici en raison des problèmes dans leur pays d’origine en raison de leur appartenance sexuelle, leur identité de genre.

Très concrètement, on a accueilli pendant 3 mois une jeune transgenre qui avait obtenu l’asile mais qui était dans une période de transition sans accès à un logement ou un centre. C’est très compliqué de se retrouver dans un centre pour réfugiés quand on est transgenre, car la cohabitation ne fonctionne pas.

  • Dans un monde idéal, comment pourrait-on agir pour que ce genre de situation de crise ne se répète pas ?

Les profils de parents sont très variés, il n’y a pas vraiment moyen d’identifier une culture, une religion ou un profil type de parents intolérants. Ceci donne déjà une indication sur le caractère universel de cette intolérance.

C’est évidemment une question que nous nous posons régulièrement et que j’aimerais bien qu’on se pose d’une manière un peu formelle mais ce n’est pas pour tout de suite. Les éléments que nous avons pu tirer des 3 ou 4 ans d’expérience, pourront être une base qui nous aidera à identifier où nous pourrons agir.

Nous allons bientôt commencer un travail de sensibilisation dans les écoles, parce que je pense que c’est là que nous pourrons agir avec une certaine efficacité. Mais il y a des gens pour qui il est déjà trop tard. Je pense qu’il faut rassurer les gens, car il s’agit de bêtise, d’ignorance qui génère de la peur.

  • Pensez-vous que le fait de représenter de plus en plus dans les médias les différentes orientations sexuelles et identités de genre peut aider à changer les mentalités ?

Je suppose que ça y contribue positivement. On peut considérer que la possibilité en France de se marier entre personnes du même sexe est une évolution. Mais en même temps, le débat qui a précédé l’adoption de la loi et la manière dont en France cela a été reçu, a été une catastrophe pour le Refuge français. Ils ont clairement identifié à partir de ce moment-là une augmentation énorme des demandes. Ils l’associent clairement au débat.

On pourrait penser que le fait qu’il y ait eu débat et qu’il y ait eu un tas d’occasions de faire de la prévention, aurait produit l’effet inverse. Mais c’est plutôt la parole homophobe qui s’est libérée.

  • Quel message aimeriez-vous faire passer à tous ces jeunes en détresse chez eux et qui ne savent pas quoi faire ?

De faire appel à nous s’ils pensent que nous pouvons faire quelque chose pour eux. Ils ont ici un espace à leur disposition et c’est déjà suffisant pour pas mal de jeunes d’avoir simplement une occasion d’être ailleurs et de voir d’autres personnes, d’autres jeunes.

Nous avons organisé Le Refuge de manière à ce que ce soit une chance d’arriver ici. Ce n’est pas un lieu dans lequel on échoue et duquel on rêve d’en sortir le plus vite possible. Les appartements dans lesquels les jeunes sont logés sont super, les espaces de rencontres sont beaux. Si on donne des vêtements, ils sont neufs ou quasi neufs. On essaie aussi de faire rencontrer aux jeunes des tas de gens passionnants, des faire des activités intéressantes. Le Refuge a deux parrains : un francophone et un néerlandophone. Le francophone est un comédien, David Murgia, qui vient régulièrement ici. Lukas Dhondt est le parrain néerlandophone, il a réalisé le film Girl. Il a créé le Culture Club ici au Refuge, il emmène les jeunes à l’opéra, au théâtre, au cinéma. C’est génial, c’est une opportunité incroyable dont plein de jeunes aimeraient avoir accès.

  • Quel est l’idéal vers lequel Le Refuge tend ?

J’aimerais qu’on vienne au Refuge sans avoir été jeté de chez soi.

J’aimerais que les jeunes sachent qu’il existe un lieu dans lequel ils ont la liberté d’être qui ils sont, d’être entourés de gens bienveillants qui peuvent leur donner plein d’opportunités à tous les niveaux. Au Refuge, on crée des réseaux de solidarité.

Je serai content le jour où tout le monde connaitra Le Refuge en Belgique et que les jeunes qui vivent une crise familiale à cause de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre sachent tout de suite à qui s’adresser.

Il y a 2 jours, nous sommes allés chercher un jeune à la gare du Nord qui a eu nos coordonnées par une association de terrain, ça faisait 6 mois qu’il était à la rue. J’aimerais qu’à Bruxelles et partout ailleurs, ce genre de situation n’arrive pas. J’aimerais qu’un jeune qui se fait jeter de chez lui ait l’opportunité d’atterrir quelque part sans devoir passer par la case sans domicile fixe qui engendre des dangers, des addictions, de la prostitution, etc.

  • Merci beaucoup.

Corentine
Bruxelles-J asbl

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