SOS Jeunes 24h: « Il y a énormément de jeunes de moins de 18 ans qui sont à la rue à Bruxelles. On ne se rend pas compte, ce n’est pas médiatisé. » (3/3)
Bruxelles-J s’est rendu chez SOS Jeunes 24h à Ixelles. Derrière la façade d’une maison de maître, le monde insoupçonné de l’accueil 24h/24. Dans l’espoir d’en apprendre plus sur les ‘comment’ et ‘pourquoi’ d’un fugueur ou d’une fugueuse à Bruxelles, j’ai aussi appris un peu plus sur les combats quotidiens d’une majeure AMO du terrain, et de deux de ses travailleurs sociaux, que je tiens à remercier pour le précieux temps qu’ils m’ont consacré. Respect!
(suite et fin)
Est-ce qu’on a le droit d’aider un jeune en détresse en tant que citoyen? L’héberger chez soi par exemple?
C : Si tu fais ça, tu peux être poursuivi, légalement, et c’est case prison très rapidement, car c’est considéré comme une séquestration de mineur. Mais il y a plein de gens qui ne le savent pas et qui vont quand même héberger un jeune. Tout dépend de la débrouillardise du jeune et des gens qu’il connait, certains vont se retrouver dans des squats, où il y a un certain danger. D’autres vont dormir une nuit ou deux à la rue. Généralement quand ce sont des primo fugueurs, ils retournent vite chez les parents ou dans la famille. Il y a l’école qui voit qu’il y a un problème lorsqu’il ne voit plus le jeune, ou si il a dormi à la rue, ils vont le voir et le PMS peut se mettre en place pour prendre contact avec les parents, ou avec nous.
H : Je voudrais aussi souligner qu’il y a énormément de jeunes de moins de 18 ans qui sont à la rue à Bruxelles. On ne se rend pas compte, ce n’est pas médiatisé. Il y en a beaucoup, beaucoup!
J’ai rencontré des jeunes à la rue, qui étaient venus d’autres villes car on leur avait promis qu’à Bruxelles, ils trouveraient de l’aide.
C : Il y a ça, ou il y a des jeunes qui se sont fait renvoyer d’un ou de plusieurs centres, et que le délégué ou le Juge n’arrive pas à trouver de place, ou alors que les centres le refusent tous parce qu’ils le connaissent. Donc ce jeune va se retrouver à la rue parce qu’on ne va pas lui trouver de place.
H : Par expérience, on dit souvent à nos jeunes : « Le pire âge, c’est 17 ans. » Si il se fait renvoyer d’un centre et qu’il a 17 ans, il ne va plus retrouver de centre, parce qu’on estime que le temps de mettre les choses en place et de trouver un nouveau centre, il aura 18 ans et devra passer au secteur ‘adultes’.
C : Je ne pense pas que ce soit une mauvaise volonté des délégués ou des Juges, ils sont juste débordés.
H : C’est plus urgent un gamin de 15 ans qu’un gars de 17 ans et demi. Ce n’est pas vrai selon le vécu, mais logiquement on a un peu plus d’armes à 17 ans qu’à 15 ans.
C : Ca fait partie de notre boulot aussi, d’interpeller le Juge ou le délégué, et quand ça va vraiment trop loin on interpelle le Délégué Général aux Droits de l’Enfant.
H : Ce qui arrive régulièrement!
« Quand un jeune est en rupture, c’est qu’il y a une blessure béante qui peut forcément découler sur une problématique psy. »
Qu’en est-il de la santé mentale ?
H : On voit de tout !
C : Théoriquement, on n’est pas aptes à juger de l’état de la santé mentale, ce sont des écoles différentes, mais dans les faits on a eu des jeunes qui balancent un peu sur la corde raide, un peu incasables au niveau santé mentale.
… donc qui sont dans une situation borderline, et risquent de tomber dans la maladie mentale ?
H : Tout à fait. Si ça déborde vraiment et qu’une personne peut se mettre en danger ou mettre une autre personne en danger, il faut entamer la ‘procédure Nixon’. Cette procédure est très violente, mais nous avons déjà été confrontés à cette situation.
C : C’est très rare et heureusement très difficile à mettre en place : il faut l’avis de deux psychiatres pour faire interner la personne. À part ça, on a parfois des jeunes qui dépendent de la santé mentale ou qui ont des petits troubles. En règle générale, on peut accepter, mais alors il faut que le jeune soit suivi au niveau médical et qu’il vienne avec ses médicaments.
H : Parfois il y a un jeune qui vient et on ne nous avait pas prévenu qu’il était psychotique. C’est rare parce qu’on pose tout de suite la question. Il est arrivé que nous avons hébergé une jeune que nous avons trouvée en nuisette, allongée sur la terrasse. Nous n’avions pas été prévenus qu’elle était atteinte de schizophrénie. Heureusement, elle s’est calmée et est retournée se coucher. Mais elle aurait pu avoir une crise violente, ou elle aurait pu faire une crise d’hypothermie si je ne l’avais pas entendue.
H : Ce weekend nous avons eu un psychotique. On a demandé si il avait ses médicaments, et il avait son ordonnance et son semainier, donc aucun problème.
Il y a quand-même un risque lorsque le jeune est en fugue, pour son équilibre mental et émotionnel.
H : Bien sûr, il est en rupture, c’est qu’il y a une blessure béante qui peut forcément découler sur une problématique psy.
C : Et puis il y a la rue, et les consommations.
H : Les drogues du pauvre, ce sont la kétamine et le crack, elles sont très faciles d’accès, pas chères mais elles détruisent le cerveau et le corps humain.
J’imagine, un jeune est en fugue, il croise quelqu’un qui voit qu’il ne se sent pas bien, on lui propose quelque chose pour se sentir mieux ou pour dormir…
C : C’est pour ça qu’il vaut mieux que le jeune passe par ici, car chez nous il est en sécurité. Il peut surtout se mettre en danger en rencontrant de mauvaises personnes qui vont l’enfoncer. Ces gens peuvent soit complètement le décrocher de la famille et le garder dans un squat à la débrouille, soit l’inciter à consommer.
« Certains, filles et garçons, passent par la prostitution, non pas ouvertement, mais pour avoir un lieu où dormir la nuit. On leur donne un lit et en retour on demande des services sexuels. »
H : Ou à se prostituer. On a beaucoup de jeunes qui sont passés par là, ne fût-ce qu’un petit laps de temps. Pas ouvertement se prostituer, mais pour se faire héberger. « Est-ce que je peux venir dormir chez toi ? » et c’est oui, à condition de faire un écarter les cuisses. Les filles, et les garçons aussi, qui vont demander via des réseaux sociaux s’ils peuvent venir dormir, et la fille demande des services sexuels en retour. C’est très fréquent.
C & H : Aujourd’hui, on le sait de plus en plus, parce que nous avons un lien de confiance. Les jeunes vont nous le dire car ils savent que ça ne sortira pas d’ici. C’est même punissable par la loi de briser le secret professionnel.
Je peux dire tout ça dans l’interview ?
C : Oui, puisqu’on ne donne pas de nom !
Quel est votre espoir pour les jeunes en fugue ? Qu’espérez-vous ?
H : Chaque jeune a une situation différente, donc j’ai des espoirs différents aussi. Mon expérience professionnelle a fait que je ne me projette pas dans un futur paradisiaque. Mais on espère que pour un jeune la situation puisse se débloquer au plus vite et pour un mieux, mais si sur ma carrière j’arrive à sauver une dizaine de jeunes alors que j’en ai côtoyé 2.000, je suis déjà très content. Qu’est-ce qu’on entend par ‘sauvé’, c’est que même si il reste ‘assisté’ toute sa vie, ça peut être pris pour une réussite. Même si il reste au CPAS pendant 10 ou 15 ans, ou la mutuelle, c’est déjà une réussite. Au moins il est sorti de la rue, de la toxicomanie, des problèmes psy, il a trouvé une dignité, même si il est assisté. Pour moi, c’est une réussite.
C : On a un public particulier aussi. La majorité des jeunes sont dans l’Aide à la Jeunesse depuis un certain temps, pour certains ça ne se passe pas bien. Mais bon, on a une vision tronquée aussi, car si on ne se base que sur ce qu’on voit ici pour se faire une idée de l’Aide à la Jeunesse, on dirait que c’est un service qui ne fonctionne pas du tout. Mais il s’agit en réalité que d’une petite partie de leurs jeunes qui viennent ici.
« Si un jeune pense à fuguer, je lui dis qu’il faut communiquer. Que ce soit avec un service, un PMS, un membre de la famille, un professeur… il faut parler ! »
Qu’est-ce que vous avez envie de dire à un jeune en rupture, en errance ou en pré-fugue ?
C : « Il faut communiquer. Que ce soit avec un service, un PMS, un membre de la famille, un professeur… il faut parler ! »
H : Le simple fait de parler, de déposer, de ventiler, il y a déjà énormément de choses qui peuvent être mises de côté. Prendre du recul, c’est déjà une partie du travail ou de l’effort qui est accompli.
C : Il y a des situations qui peuvent se résoudre juste en parlant. Il y a la situation de deux personnes qui se trouvent l’une en face de l’autre, et il y a 6 ou un 9 écrit au sol, selon où l’on se trouve, on lit la même chose différemment. L’autre ne peut pas forcément comprendre que tu vis cette souffrance ! Après, si c’est difficile de communiquer dans la famille, il faut faire appel à quelqu’un d’autre, une personne ‘neutre’ qui puisse aider à la communication.
H : Parfois les jeunes se bloquent, suite à leurs expériences.
C : C’est travailler avec le jeune aussi, lui dire « tu n’es pas majeur, tu ne peux pas faire ce que tu veux ».
H : Les droits et les devoirs de chacun. Je trouve qu’actuellement l’adolescent est beaucoup dans la revendication de ses droits, et n’a pas beaucoup conscience de ses devoirs. Beaucoup plus maintenant qu’il y a 15 ou 20 ans. On dit souvent « OK, tu as le droit de taper sur la table mais tu as aussi des devoirs ! » Et ça, dans une médiation familiale, c’est aussi notre responsabilité de pointer ça du doigt, tout en donnant du soutien au jeune qui est bénéficiaire de notre service. Dans une dispute, on est deux. Avec des responsabilités différentes, mais on est deux.
Merci beaucoup.
Bruxelles-J asbl
Tu trouveras la page web de SOS Jeunes 24h ici